ANNEE 2012 – REEL/VIRTUEL à la Métisse d’Argile


2010-2ROUGE EMIS :
par Jean-Paul Gavard-Perret

Parmi quelques lignes et graffiti il y a le rouge. Le rouge pour tout dire – ou plutôt tout montrer. Un rouge presque inaltérable. En son étendue non une absence mais la présence. La couleur lie à la vie en déliant les effets de narration par combustion. Geneviève Besse retient la lumière et non les cendres.

Par de multiples pressages se suit un parcours initiatique. Il permet de voir le monde inconnu que provoque l’irradiation et la fission. Le rouge surgit face à l’obscur, en comble les trous, les abîmes par son soleil immense. L’artiste en connaît le péril : celui de la saturation. C’est pourquoi elle propose divers types de passages et de modulations. Son approche fait la pensée ardente en frôlant la pulpe du monde.

Les tirages produisent un balisement d’étapes. L’espace créé est bien sûr un recouvrement mais la vie y devient béante, entêtée, entêtante. Se retrouve un lointain pressenti par ces consentements telluriques. Il y a là quelque chose de violent. La couleur parle un temps de vie par la sensation violente et matricielle qu’elle produit de manière sensorielle.

A ce point limite, il faut parler autant de flux que d’absorptions au cœur de la mise en suspens de la figuration. L’absence elle-même est donnée comme présence absolue – le mot absolu est ici à sa place puisqu’il signale la séparation éprouvée dans toute sa rigueur (l’absolument séparé). Elle consacre le lieu où il n’y a plus rien à dire sinon un temps de « noces » pour parler comme Saint John Perse.

2010-1Chaque oeuvre pourtant la ressasse au seuil de l’égarement et de l’errance. Il convient d’en tirer les conséquences : aller au bout du rouge et de ce qu’il « entend » nous fait les égarés puisque le monde est présent en son immensité errante. Nous marchons en nos labyrinthes, dans toute leur longueur et dans tous leurs recoins afin de savoir de quoi ils sont faits, pourquoi ils nous retiennent. Sans doute pour renier la solitude parce qu’elle est là de toujours.

2010-3La travail de Geneviève Besse reste la recherche d’un équilibre et d’un déséquilibre. Quelque chose attend, revient. Le rouge est mis dans ce fondu de lumière qui délivre les prisonniers enchaînés à leurs glaciations. Cela a un nom : l’appel à l’existence. On croyait que tout allait à la débâcle mais le rouge approche. Il y a la brûlure. Plus besoin bientôt d’en chercher le centre car il crève les yeux en nous regardant.

L’image ne porte plus d’ombre ou si peu qu’on peut glisser dedans. Pour éprouver une liberté aussi inconnue que le soldat du même nom et qui aurait bien échangé ses armes pour cette larme de sang. Sa nudité consume le réel dans la magma à peine strié. Surgissent des reflets de l’insaisissable, un souffle, une volupté, une offrande.

Entre terre et ciel le rouge nous fait voyageurs, il grimpe après notre regard. Il est l’irruption pure. C’est comme un inconnu à la fois asservi mais qui délivre. On peut y fouler la mémoire promu par le sang de ta transhumance. Le noir et blanc sont fendus de son espoir. Contre l’infini dérisoire fuse son hymen cruel et doux à la fois.

 


2010-4ADDENDA :
par Jean-Paul Gavard-Perret

Rouge songe – très beau parce que toujours sans poids – servant d’appel au blanc – qui n’attend pas de réponse « concrète. Reste une fosse de feu. Geneviève Besse conduit où nous nous réduisons à un regard pour exister. Pour recommencer à être. Elle enlève aux os leur chagrin. Du support son rouge sourd pour interpeller notre destinée. Son monde semble séparé du notre : mais les deux coexistent. Car tout être jeté dans la vie reste à la recherche d’une couleur, d’une seule qui permet non seulement une communication mais une communauté. Afin de continuer le voyage le rouge crée la fusion comme l’écart. Il n’offre plus de prise au monde même s’il est tout dedans. Il est consubstantiel à lui, au corps, à l’image. Il est là pour tenir chaud. Aspirant au vertige il monte dans l’étendue. Il entre dans le vif et se met en atteinte. Lagune, effroi, langage. Le feu prend. Lune rouge du jouir. Qu’étions-nous avant qu’il apparaisse? Ainsi le songe remplace l’existence mais permet d’approcher une forme de réalité. A ce point l’art ne réalise pas de fantasme. Contre la nécessaire pâleur de la neige il va jusqu’à sa brisure dans son précipité à travers la matière. Reste le trop brûlant, sa radiation, sa présence à laquelle on ne se soustrait pas. Quel monde est alors dans nos yeux ? Nous entrons à l’intérieur de nos frontières. On s’y « enfente » jusqu’à faire saillir paradoxalement le corps. Au fond du corps endormi surgit la voix par la couleur. Elle troue la langue et la défait. Plus tard Geneviève Besse continue l’histoire puisque chacun de ses « aveux » reprend celui qui le précède par effet de couleur.