ANNEES 2009 – 2010 – Interversions


2009-1  Interversions
par Pierre Fresnault-Deruelle

La mouche est un jeu qui se joue avec
cinq cartes et avec une retourne. […]
Le joueur qui ne fait pas de levée est mis à la mouche :
il doit alors tout l’enjeu, qui grossit le panier au coup suivant.
Honoré de Balzac, Béatrix.

Geneviève Besse a retenu de Béatrix d’Honoré de Balzac ce qui, dans la première partie du roman, relève de ce jeu de cartes qu’on appelle La Mouche. Or, nous voilà devant ce que notre peintre – qui a vu, aussi, le manuscrit du roman – en a tiré : cinq grandes cartes à jouer au dos desquelles l’artiste a distribué des fragments, agrandis et triturés, dudit manuscrit.
C’est d’une installation qu’il s’agit, qui nécessite de notre part un double trajet (au moins). Le spectateur est, en effet, conduit à affronter le recto puis le verso des cartes en question. Affronter n’est pas un mot trop fort : les panneaux ont été disposés de manière à constituer, sinon des chicanes, du moins les marqueurs d’un itinéraire. On sait, à ce sujet, qu’exposer revient souvent à organiser un sens de lecture ou de déambulation. Pour ce faire, l’artiste a eu l’idée de transformer un manuscrit – objet horizontal sur lequel on se penche – en une suite de surfaces redressées. Geneviève Besse est peintre après tout ! Et, si elle peint debout, sur des supports posés à plat, elle a voulu que ses cartes à jouer fussent des images levées.

On subodore quelques manigances de la plasticienne, qui a procédé à une triple interversion : outre le changement de position qui a consisté à ériger ses supports, Geneviève Besse est passée du texte à l’image ; à quoi s’est ajoutée la nécessité de passer de l’avant à l’arrière. Ne manque que le tête-à-queue qui, de toute façon, affleure à la conscience puisqu’il s’agit de cartes à jouer ! Mais quelle mouche a donc piqué notre peintre ? Faute d’insecte, on nous permettra de penser qu’il est ici question d’un démon, cousin du démon de l’analogie dont parle Baudelaire dans ses essais critiques. Il y aurait donc, chez Geneviève Besse, un démon de l’interversion ou du basculement, une sorte de génie du contresens ou du transvasement qui précipiterait l’artiste du côté des remises en cause et des volte-face. Balzac, idole consacrée de la Littérature, connaît soudain un drôle de traitement ! Geneviève Besse iconoclaste ?

Mais il y a mieux (ou pire, c’est selon). Le Roi, la Dame, qui sont des figurines sans plus d’épaisseur que celles rencontrées par Alice au Pays des merveilles, sont ici dotés d’une étrange rusticité. Serait-ce parce que le roman se passe d’abord à Guérande que Geneviève a voulu voir dans ces cartes des formes vaguement apparentées à l’art ancestral de la terre de Bretagne ? Ces cartes, qui endossent le texte balzacien comme s’il s’agissait de voir dans ce dernier le témoignage d’un temps immémorial, n’ont-elles pas, au reste, un air fantomatique ? Nourrissons notre chimère : elles reviennent dans notre imaginaire ainsi que revient dans la mémoire de Calixte – transplanté à Paris dans la seconde partie du roman – l’image idéalisée de Béatrix dont le héros ne peut se défaire. L’auteur de La Comédie humaine, on le sait, fut un romantique.2009-2 2009-3

Tel n’est pas le cas de Geneviève Besse qui, bien de son temps et vivant pleinement son aventure picturale, retrouve pourtant Balzac. En bonne Tourangelle, notre peintre aura sans doute pensé que des fragments, si ténus fussent-ils, de La Comédie humaine étaient un bon motif pour donner au démon qu’on a dit matière à exercice. Les livres d’artistes et, plus largement l’histoire de l’art (on a longtemps peint d’après la Fable), nous montrent que le fait, pour un(e) plasticien(ne), de s’inscrire dans le sillage d’un grand texte, finit souvent par faire de lui (d’elle) un heureux porte-parole. C’est ici le cas.

“Balzac mis à la mouche…” du 2 avril au 2 Juillet 2009 au Musée Balzac à Sachè (37)
“Balzac mis à la mouche…” du 16 avril au 01 juin 2010 à la Médiathèque de Lorient (56)
Egalement, un livre de bibliophilie : “Beatrix – Le jeu de la mouche”, Honoré de Balzac, commande de la bibliothèque de Tours 1999

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